En 2020, la Cour d’appel de Paris a admis que le fait pour un Tribunal arbitral de ne pas tenir compte de l’existence de sanctions internationales est susceptible de constituer un cas de violation de l’ordre public international français et donc d’emporter annulation de la sentence (Cour d’appel de Paris, 3 juin 2020, n°19/07261). Cet arrêt de la Cour d’appel de Paris avait été abondamment commenté. Il est aujourd’hui confirmé par la Cour de cassation (Cass. 1e Civ., 9 février 2022, n° 20-20.376).

Sans revenir de manière extensive sur le déroulement des faits ayant mené à l’arbitrage dont il est question, il convient néanmoins de rappeler que ce dernier avait pris racine dans un désaccord entre la société SOFREGAZ (aujourd’hui devenue TCM), société française et la société Natural Iranian Oil Company, société iranienne, qui avaient conclu un contrat en 2002 avec pour objectif la conversion en stockage d’un souterrain gazier situé en Iran.

En 2008, la société Natural Gas Storage Company (la « NGSC », société iranienne venant aux droits de la Natural Iranian Company) a résilié le contrat invoquant un manquement et une violation du contrat ainsi qu’un retard dans la poursuite et l’achèvement du projet.

A la suite d’une première phase contentieuse devant les juridictions françaises, la société TCM a déposé une demande d’arbitrage le 16 janvier 2014 auprès de la CCI. Par une sentence rendue le 27 décembre 2018, le tribunal arbitral a fait droit à certaines demandes de la société TCM (pour un montant total de 2.440.513,37 USD) et à certaines demandes de la société NGSC (pour un montant total de 12.022.203,50 USD).

Le 2 avril 2019, la société TCM a formé un recours en annulation contre cette sentence devant la Cour d’appel de Paris. Parmi les motifs d’annulation invoqués, la société TCM faisait notamment valoir que le Tribunal arbitral n’avait pas tenu compte des sanctions internationales prises par les Nations Unies, l’Union Européenne et les Etats-Unis à l’encontre de l’Iran et avait par conséquent rendu une décision dont la reconnaissance ou l’exécution serait contraire à l’ordre public international français.

Dans son arrêt de 2020, la Cour d’appel de Paris a répondu sur ce point par un raisonnement en deux temps.

En premier lieu, la Cour s’est interrogée sur la question de savoir si des sanctions internationales pouvaient intégrer l’ordre public international français[1]. Au terme de son raisonnement, la Cour d’appel a considéré que les sanctions internationales édictées par les Nations Unies et par l’Union Européenne, dès lors qu’elles étaient porteuses de « règles et valeurs » dont l’ordre juridique français ne pouvait souffrir la méconnaissance, relevaient de la conception française de l’ordre public international. Et ce, alors même que s’agissant des sanctions onusiennes, les résolutions n’ayant pas été rendues obligatoires ou transposées, aucun effet direct ne leur était donné dans l’ordre interne des Etats membres.

En revanche, s’agissant des sanctions émanant des autorités américaines, la Cour d’appel a considéré qu’elles ne pouvaient « être regardées comme l’expression d’un consensus international » dès lors que leur portée extraterritoriale était contestée tant par les autorités françaises que par l’Union Européenne. Par conséquent, ces sanctions américaines ne pouvaient être rattachées à des règles et valeurs dont la France ne pouvait souffrir la méconnaissance et ne pouvaient être intégrées à la conception française de l’ordre public international au sens de l’article 1520, 5° du code de procédure civile.

En second lieu, la Cour d’appel s’est interrogée sur l’existence de la violation alléguée au regard des sanctions internationales émanant des Nations Unies et de l’Union Européenne. La Cour a alors énoncé que la « violation de l'ordre public international doit être effective et concrète et doit donc s'apprécier en fonction du champ d'application matériel et temporel des sanctions invoquées ». 

Les sanctions onusiennes et européennes ont tour à tour été examinées par la Cour. S’agissant des résolutions onusiennes, la Cour d’appel a relevé que leur champ ne portait que sur le financement des activités nucléaires et militaires. Elle en a déduit que les résolutions en question étaient inapplicables au contrat en litige qui portait sur le secteur gazier. S’agissant des sanctions européennes, la Cour a relevé que l’un des règlements européens invoqués ne portait que sur le domaine nucléaire. Quant à l’autre règlement européen, la Cour a considéré que bien qu’il portât notamment sur le secteur gazier, il ne trouvait pas à s’appliquer en l’espèce puisque le contrat avait été conclu antérieurement au règlement et que ce dernier n’était pas rétroactif.

Au terme de son raisonnement, bien qu’elle n’ait pas accueilli le moyen d’annulation en l’espèce, la Cour a admis que le fait pour un Tribunal arbitral de ne pas prendre en considération des sanctions internationales pourtant porteuses de « règles et valeurs » dont l’ordre juridique français ne pouvait souffrir la méconnaissance, pouvait emporter la violation de l’ordre public international français. A condition que ladite violation soit concrète et effective.

Saisie d’un pourvoi, la Cour de cassation a eu l’occasion, le 9 février dernier, de confirmer cette lecture de la Cour d’appel de Paris. Elle confirme ainsi que des sanctions internationales peuvent être la source d’une violation de l’ordre public international français au sens de l’article 1520, 5° du code de procédure civile et fonder l’annulation d’une sentence arbitrale.

Le moyen présenté par la société TCM reproche à la Cour d’appel d’avoir apprécié la conformité à l’ordre public international au regard du contrat et non de la reconnaissance et de l’exécution de la sentence. Plus précisément, selon la société TCM, peu importe que le contrat litigieux ait été antérieur aux mesures actuelles d’embargo, dès lors que les sanctions concernaient bien le secteur gazier.  

La Cour de cassation rejette le moyen de la société TCM et confirme le raisonnement de la Cour d’appel qui a pris en considération le champ d’application matériel et temporel des résolutions onusiennes et des règlements européens. Elle approuve la Cour d’appel d’avoir constaté « d’une part, que les résolutions des Nations Unies et les règlements européens antérieurs au règlement nº 961/2010 du 25 octobre 2010 ne concernaient pas le secteur gazier, d'autre part, que ce règlement ne visait pas, dans le domaine de la production de gaz naturel, les opérations requises par des contrats conclus avant le 26 juillet 2010 » et déduit que « la sentence, portant sur l'exécution d'un contrat conclu en 2002, ne pouvait à aucun titre relever du champ d'application des sanctions internationales visant l'Iran ». Ce faisant, la Cour de cassation considère que la Cour d’appel qui a bien « apprécié la conformité à l'ordre public international au regard de la reconnaissance et de l'exécution de la sentence litigieuse et qui n'était pas tenue de procéder à une recherche que ses constatations rendaient inopérante, a légalement justifié sa décision ».

Gageons que cet arrêt, qui est surprenant d’actualité au regard des multiples sanctions internationales prises à l’encontre de la Russie ces derniers jours, aura des répercussions certaines sur les décisions arbitrales à venir et ouvrira la voie à de nouveaux recours en annulation devant les juridictions françaises.


[1] Ce questionnement n’est pas sans rappeler le raisonnement tenu par la Cour d’appel de Paris en 2018 concernant l’intégration dans l’ordre public international français des lois de police étrangères (Cour d'appel de Paris, 1-1, 16 janvier 2018, no 15/21703, MK Group c/ Onix et Financial Initiative).