Jurisprudence

  

·    Rémunération variable

 

Lorsque le calcul de la rémunération dépend d'éléments détenus par l'employeur, celui-ci est tenu de les produire en vue d'une discussion contradictoire. Une Cour d'appel en saurait débouter le salarié de sa demande en paiement d'un rappel de rémunération variable aux motifs qu’il ne produit aucune information quant à sa réalisation des objectifs annuels ni ne discute autrement le montant des primes qui lui ont été versées par son employeur dès lors qu'il appartient à ce dernier de justifier des éléments permettant de déterminer si les objectifs fixés au salarié avaient été atteints (Cass Soc 7 février 2024, 22-12.110)

 

Lorsque les objectifs sont définis unilatéralement par l'employeur dans le cadre de son pouvoir de direction, ceux-ci doivent être réalisables et portés à la connaissance du salarié en début d'exercice. A défaut, le montant maximum prévu pour la part variable doit être payé intégralement comme s'il avait réalisé ses objectifs. Pour débouter le salarié de sa demande en paiement de la part variable de sa rémunération au titre de l'année 2015, l'arrêt retient qu'il ne conteste pas le tableau produit par son employeur.

Pour rejeter ensuite la même demande au titre de l'année 2016, l'arrêt énonce, d'une part, que le salarié a été informé dès novembre 2015 que les objectifs seraient revus en janvier 2016, et, d'autre part, que manifestement ces objectifs n'ont pas été remplis. En statuant ainsi, par des motifs impropres, sans constater que les objectifs avaient été portés à la connaissance du salarié en début d'exercice, la cour d'appel a violé les textes susvisés (Cass Soc 31 janvier2024, 22-22.709)

 

·    Contrat de travail

 

En cas de transfert d'une entité économique employant des salariés de droit privé, à une personne publique dans le cadre d'un service public administratif, les contrats de travail subsistent entre le personnel de l'entreprise et le nouvel employeur jusqu'à ce que ceux-ci acceptent le contrat de droit public qui leur sera proposé, ou jusqu'à leur licenciement, peu important la circonstance que le salarié pouvait ne pas remplir les conditions réglementaires de qualification ou de diplôme pour occuper ses fonctions (Cass. soc., 6 mars 2024, n°22-22.315-B)

 

La violation de la clause de non-concurrence ne permet plus au salarié de prétendre au bénéfice de la contrepartie financière de cette clause, même après la cessation de sa violation (Cass. soc., 24 janv. 2024, n°22-20.926)

  

Un tableau correspondant à une addition des heures supplémentaires effectuées par un salarié sans décompte quotidien, sans aucune amplitude horaire de ses journées ou même hebdomadaire constitue des éléments suffisamment précis pour permettre à l'employeur de répondre (Cass. soc., 10 janv. 2024, n° 22-17.917)

 

·    Durée du travail

 

L'absence de mise en place par l'employeur d'un système objectif, fiable et accessible permettant de mesurer la durée du temps de travail journalier effectué par chaque travailleur ne le prive pas du droit de soumettre au débat contradictoire tout élément de droit, de fait et de preuve, quant à l'existence ou au nombre d'heures accomplie (Cass. soc., 7 févr.2024, n°22-15.842)

 

Aux termes de l'article L. 3122-32 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loin° 2016-1088 du 8 août 2016, le recours au travail de nuit est exceptionnel. Il prend en compte les impératifs de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs et est justifié par la nécessité d'assurer la continuité de l'activité économique ou des services d'utilité sociale. Viole dès lors ces dispositions la cour d'appel qui déboute le salarié de ses demandes relatives à l'illégalité du recours au travail de nuit, sans constater que le recours au travail de nuit par l'employeur était justifié par la nécessité d'assurer la continuité de l'activité économique ou des services d'utilité sociale, peu important que le salarié n'ait pas le statut de travailleur de nuit, qu'il ait perçu une contrepartie pour les heures de travail accomplies la nuit et qu'il ait souhaité travailler en soirée (Cass. soc., 7 févr. 2024, n° 22-18.940, FS-B)

 

L'interdiction de porter à la durée légale du travail la durée du travail d'un salarié à temps partiel, par l'accomplissement d'heures complémentaires, s'apprécie, en cas de temps partiel annualisé, à la fin de la période de référence annuelle (Cass. soc., 7 févr. 2024, n° 22-17.696)

 

Le seul constat que le salarié n'a pas bénéficié du repos journalier de douze heures entre deux services ouvre droit à réparation sans que le salarié n'ait à démontrer de préjudice spécifique (Cass. soc., 7févr. 2024, n° 21-22.809, FS-B)

 

La mention sur les bulletins de paie des jours pris au titre de la réduction du temps de travail n'a qu'une valeur informative, la charge de la preuve de leur octroi effectif incombant, en cas de contestation, à l'employeur (Cass. soc., 10 janvier 2024, n°22-17.917)

 

En l’absence de stipulations conventionnelles sur le contrôle de la charge de travail, une convention individuelle de forfait en jours peut être valablement conclue si l’employeur prend les mesures supplétives prévues à l'article L3121-65 du code du travail. En cas de manquement de l'employeur à l'une de ces mesures supplétives, il ne peut pas se prévaloir du régime dérogatoire institué par ce texte et la convention individuelle de forfait en jours est nulle (Cass. Soc., 10 janv. 2024, n°22-15.782)

 

·    Rupture du contrat de travail

 

La consultation d'un organisme chargé, en vertu d'une disposition conventionnelle ou d'un règlement intérieur, de donner son avis sur une sanction envisagée par un employeur constitue une garantie de fond, en sorte que la sanction ne peut pas être prononcée sans que cet organisme ait été consulté. Le juge ne pouvait annuler la sanction sans rechercher si l'irrégularité constatée dans le déroulement de la procédure disciplinaire par la consultation tardive des délégués du personnel, avait privé le salarié de la possibilité d'assurer utilement sa défense ou était susceptible d'avoir exercé en l'espèce une influence sur la décision finale de sanctionner par l'employeur (Cass Soc 20 mars 2024, 22-17.29222-17.293)

 

Un employeur avait eu connaissance des faits reprochés au salarié le 1er mars 2019. Il avait été convoqué le 26 mars 2019 à un entretien préalable et licencié pour faute grave le 6 mai 2019. La Cour d'appel était fondée à considérer que le délai entre la révélation des faits et la convocation à l'entretien préalable enlevait tout caractère de gravité à la faute dès lors qu'aucune circonstance particulière ne justifiait un tel délai (Cass Soc 20 mars 2024, 23-13.876)

 

Est justifié le licenciement pour inaptitude du salarié ayant refusé au titre du reclassement un emploi conforme aux préconisations du médecin du travail peu important qu'il entraîne, par la baisse de rémunération qu'il générait, une modification de son contrat de travail que le salarié pouvait légitimement refuser (13 mars 2024 Cour de cassation Pourvoi n°22-18.758)

 

Aucun délai n'étant imposé entre l'entretien au cours duquel les parties au contrat de travail conviennent de la rupture du contrat et la signature de la convention de rupture conventionnelle, ceux-ci peuvent avoir lieu le même jour dès lorsque la signature est postérieure à l'entretien (Cass. soc., 13 mars 2024, n° 22-10.551)

 

lorsque la société mère ne réintègre pas le salarié après son licenciement par la filiale étrangère, l'indemnité compensatrice de préavis, l'indemnité conventionnelle de licenciement, les salaires dus au titre de l'allocation de congé de reclassement et les dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse auxquels le salarié peut prétendre doivent être calculés par référence aux salaires perçus par celui-ci dans son dernier emploi (Cass. soc., 6 mars 2024, n° 22-19.879)

 

Une salariée avait adressé à des collègues des messages à « caractère manifestement raciste et xénophobe » via la messagerie professionnelle de l'entreprise. Pour la Cour de cassation, cela ne saurait justifier un licenciement. Même s'ils avaient été envoyés au moyen de la messagerie professionnelle, ces messages relèvent de la vie personnelle du salarié dès lors, d'une part, que ces messages s'inscrivaient dans le cadre d'échanges privés, à l'intérieur d'un groupe de personnes, et n'avaient pas vocation à devenir publics, d'autre part, que les opinions exprimées par la salariée n'avaient eu aucune incidence sur son emploi ou ses relations avec les usagers ou ses collègues et qu'il n'est pas établi qu'ils auraient été connus en dehors du cadre privé (Cass. soc., 6 mars2024, n° 22-11.016)

 

L'employeur ne peut licencier un salarié en prenant argument de précédentes fautes disciplinaires dès lors que celles-ci ont été prononcée plus de 3 ans avant (Cass. soc., 14 févr. 2024, n° 22-22.440)

 

Est justifié le licenciement pour faute grave d’une ayant adopté un comportement se manifestant par des critiques, des moqueries, de la violence verbale et physique, une déstabilisation dans les relations professionnelles et une forme de manipulation allant au-delà de simples plaisanteries entre collègues. L'ambivalence de l'attitude de la salariée était source de souffrance au travail. Nonobstant l'ancienneté et l'absence d'antécédents disciplinaires de la salariée, ce comportement inadapté et harcelant caractérisait une faute grave (Cass. Soc. 14 février 2024, 22-23.620).

  

 

·    Disciplinaire

 

Un courriel par lequel l'employeur, qui n'a pris aucune mesure à l'encontre du salarié, se bornait à lui demander de faire preuve de respect à son égard, de cesser d'être agressif, de faire preuve de jugements moraux, de colporter des rumeurs et autres dénigrements auprès de la clientèle et des autres salariés constituait tout au plus un rappel à l'ordre n'ayant pas épuisé le pouvoir disciplinaire de l'employeur (Cass Soc , 20 mars 2024, 22-14.465)

 

·    Inaptitude

 

Lorsque l’avis du médecin du travail précise à la fois que « l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi », et que l'inaptitude faisait obstacle sur le site à tout reclassement dans un emploi, l'employeur doit rechercher un reclassement hors de l'établissement auquel le salarié était affecté (Cass. soc., 13 déc. 2023, n° 22-19.603)

 

·    Procédure

 

A peine d'irrecevabilité, les parties doivent présenter, dès les premières conclusions, l'ensemble de leurs prétentions sur le fond. Est irrecevable en cause d'appel la demande de nullité de licenciement dès lors qu'en 1ère instance, le salarié ne soulevait que l'absence de cause réelle et sérieuse (Cass. Soc. 28 février 2024, 23-10.295)

 

Dès lors qu'un système de vidéosurveillance destiné à la protection et la sécurité des biens et des personnes dans les locaux de l'entreprise permet aussi de contrôler et de surveiller l'activité des salariés et peut être potentiellement utilisé par l'employeur pour recueillir et exploiter des informations concernant personnellement un salarié aux fins de le licencier, l'employeur doit informer les salariés et consulter les représentants du personnel sur la mise en place et l'utilisation de ce dispositif à cette fin. A défaut, le moyen de preuve tiré des enregistrements du salarié est illicite.

 

Le juge doit, lorsque cela lui est demandé, apprécier si une telle preuve porte une atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit à la preuve et les droits antinomiques en présence, le droit à la preuve pouvant justifier la production d'éléments portant atteinte à d'autres droits à condition que cette production soit indispensable à son exercice et que l'atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi.

 

En présence d'une preuve illicite, le juge doit d'abord s'interroger sur la légitimité du contrôle et doit ensuite rechercher si l'employeur ne pouvait pas atteindre un résultat identique en utilisant d'autres moyens plus respectueux de la vie personnelle du salarié. Enfin le juge doit apprécier le caractère proportionné de l'atteinte ainsi portée à la vie personnelle au regard du but poursuivi.

 

Est régulière l'appréciation de la Cour d'Appel qui a mis en balance de manière circonstanciée le droit de la salariée au respect de sa vie privée et le droit de son employeur au bon fonctionnement de l'entreprise, en tenant compte du but légitime qui était poursuivi par l'entreprise, à savoir le droit de veiller à la protection de ses biens. Elle a pu déduire que la production des données personnelles issues du système de vidéosurveillance était indispensable à l'exercice du droit à la preuve de l'employeur et proportionnée au but poursuivi, de sorte que les pièces litigieuses étaient recevables (Cass. soc., 14 févr. 2024, n° 22-23.073)

 

Seul l'avocat étant dispensé de justifier d'un mandat de représentation, le défenseur syndical doit justifier d'un tel mandat aussi bien devant les juridictions prud'homales de première instance que devant les cours d'appel, saisies de l'appel de leurs décisions (Cass Soc 8 février 2024, 21-23.752)

 

·    Relations collectives/salariés protégés

 

L'accord de reconnaissance d'une UES n'est pas un accord interentreprises mais un accord collectif signé aux conditions de droit commun. Il ne peut donc mettre en place un CSE interentreprises spécifique ni définir les garanties sociales des salariés de ces entreprises (Cass. soc., 6 mars 2024, n°22-13.672)

 

L'administration devant exercer un contrôle global de la régularité de la procédure d'information et de consultation du CSE dans le cadre d'un PSE, elle ne peut se fonder sur la seule circonstance que le CSE n'avait pas bénéficié de l'assistance d'un expert pour juger irrégulière la procédure d'information et de consultation (CE 4e-1e ch., 29 déc. 2023, n° 463794)

 

Ne peuvent exercer un mandat de représentation les salariés qui, soit disposent d'une délégation écrite particulière d'autorité leur permettant d'être assimilés au chef d'entreprise, soit le représentent effectivement. Un salarié membre du CODIR avait été désigné représentant de la section syndicale.

L'employeur sollicitait l'annulation de cette désignation aux motifs que le salarié bénéficiait d'une subdélégation de pouvoirs de l'employeur et de la qualité de membre du comité de direction (Codir).

Cette demande est rejetée : le salarié, qui ne disposait pas d'une délégation écrite particulière d'autorité lui permettant d'être assimilé au chef d'entreprise, ne représentait pas ce dernier devant les institutions représentatives du personnel et n'exerçait pas à leur égard des obligations relevant exclusivement du chef d'entreprise, en sorte qu'il avait été valablement désigné en qualité de représentant de section syndicale (Cass Soc 20 décembre2023, 22-21.983).