Revirement de jurisprudence de la Cour de cassation en cas de cumul de qualifications d’infractions : une sévérité accrue

Le 15 décembre 2021, la chambre criminelle de la Cour de cassation a, par une décision publiée au Bulletin, opéré un important revirement de jurisprudence[1] en matière de cumul de qualifications d’infractions pour les mêmes faits. La confirmation de ce revirement par des arrêts récents nous offre l’occasion de revenir sur ce thème dont les conséquences pratiques pour le justiciable sont essentielles.

I/ Un revirement de jurisprudence

La chambre criminelle considère désormais que l’interdiction de ce cumul se limite à deux cas précis :

·        Dans le premier cas, l'une des incriminations correspond à un élément constitutif ou à une circonstance aggravante de l'autre (ex. faux en comptabilité [élément constitutif], et banqueroute pour comptabilité irrégulière [infraction principale]

·        Dans le second cas, l'une des qualifications pénales est spéciale et incrimine une modalité particulière de l'action répréhensible sanctionnée par l'autre infraction, dite générale (ex. faux [infraction générale] et présentation de comptes inexacts [infraction spéciale]).

Un troisième cas est mentionné incidemment par la Cour : l’interdiction de cumuler des qualifications incompatibles (par ex. meurtre et homicide involontaire).Celui-ci n’est toutefois pas relatif au principe ne bis in idem selon lequel nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement à raison des mêmes faits.

Si le juge se trouve dans l’un des deux premiers cas mentionnés, au nom du principe ne bis in idem, il ne peut pas retenir un cumul de qualifications pénales. Dans le premier cas, il doit retenir uniquement une qualification d’infraction qui couvre les faits dans leur intégralité et non une seconde infraction qui correspondrait à l’un des ses éléments constitutifs ou à une de ses circonstances aggravantes (ex. banqueroute pour comptabilité irrégulière et non le cumul de faux en comptabilité et banqueroute pour comptabilité irrégulière). Dans le second cas, il doit retenir uniquement la qualification spéciale au détriment de la qualification générale(ex. présentation de comptes inexacts et le cumul de faux et de présentation de comptes inexacts).

A titre d’exemple, dans l’affaire du 15 décembre 2021, le prévenu a été renvoyé devant le Tribunal correctionnel des chefs de faux, usage de faux et escroquerie et a été condamné pour ces trois délits.

Il a fait appel du jugement en arguant, sur le fondement du principe ne bis in idem, que les infractions de faux, usage de faux et escroquerie ne peuvent se cumuler parce que le faux et son usage correspondent en réalité aux « manœuvres frauduleuses », un des éléments constitutifs de l’escroquerie.

Cependant, la Cour de cassation a décidé que « l'article 313-1 [du Code pénal], qui incrimine l'escroquerie, vise les manœuvres frauduleuses et non spécifiquement le faux ou l'usage de faux comme élément constitutif de ce délit ». La Cour de cassation a tranché en statuant que les infractions en l’espèce pouvaient se cumuler.

II/ Un arsenal répressif plus étendu

La Cour de cassation explique pédagogiquement, dans le raisonnement de sa décision du 21 décembre 2021, que la jurisprudence antérieure faisait obstacle à ce que le juge puisse prononcer une peine complémentaire – telle que la confiscation ou la peine d'interdiction professionnelle – qui correspond à une des infractions finalement non-retenues.

En effet, les peines principales de même nature relatives aux différentes infractions ne se cumulent pas. L'article 132-3 du Code pénal prévoit qu’il ne peut être prononcé qu'une seule peine de cette nature dans la limite du maximum légal le plus élevé. Toutefois, c’est au niveau des peines complémentaires applicables que les juges peuvent faire preuve d’inventivité dans le cumul, la Cour de cassation n’ayant pas spécialement invité à la modération…

De plus, pour la personne condamnée, le nombre de mentions au casier judiciaire augmentera en cas de cumul de qualifications.

Dans le cas de la décision du 21 décembre 2021, si le juge avait retenu seulement l’escroquerie et le faux à la place d’un cumul de trois infractions comme le commandait la jurisprudence antérieure[2], il n’aurait pas pu prononcer les peines complémentaires applicables à l’usage de faux, puisqu’il aurait été obligé d’écarter cette infraction. Il aurait dû retenir uniquement celles relatives à l’escroquerie et au faux. Cependant, sous l’empire de la jurisprudence nouvelle, le juge aurait pu choisir de prononcer plusieurs peines complémentaires applicables aux trois infractions de l’espèce, ce qui étend son catalogue de sanctions.

Ces peines complémentaires (et de manière implicite, leur cumul) permettraient, selon la Cour, de prévenir efficacement la récidive de l'infraction et constituer de ce fait, des éléments de dissuasion.

Il est alors certain que les magistrats, qui peuvent dorénavant retenir un cumul d’infractions dans plus de cas qu’auparavant, disposent d’un arsenal répressif plus étendu.

III/ Applications récentes :une volonté d’unifier la jurisprudence

Par certaines décisions récentes, la Cour de cassation a confirmé son revirement.

Dans un arrêt du 15 février 2022, les prévenus avaient été condamnés en première instance à la fois pour des délits et contraventions de blessures involontaires ayant entraîné des incapacités totales de travail supérieures à trois mois et inférieures ou égales à trois mois, à la suite d’un effondrement d’une toiture d’un bâtiment commercial. Contrairement à la Cour d’appel qui retint le non-cumul, la Cour de cassation a considéré que ces infractions peuvent se cumuler aux motifs qu’elles ne sont pas incompatibles, qu’aucune de leurs qualifications ne correspond à un élément constitutif/circonstance aggravante de l'autre et qu’aucune de ces qualifications n’est une infraction spéciale qui doit prévaloir sur l’infraction générale[3].

Dans une autre affaire du 9 juin 2022, elle considère que le principe ne bis in idem ne s'oppose pas à ce qu'une même personne soit déclarée à la fois coupable des chefs d'association de malfaiteurs et d'une infraction commise en bande organisée, y compris lorsque des faits identiques sont retenus pour caractériser l'association de malfaiteurs et la bande organisée. En effet, le délit d'association de malfaiteurs et l'infraction poursuivie en bande organisée ne sont pas susceptibles d'être un élément constitutif/circonstance aggravante de l’autre. De plus, aucune de ces qualifications n'incrimine une modalité particulière de l'action répréhensible sanctionnée par l'autre infraction[4].

Ce raisonnement devenu désormais systématique est susceptible de remettre en cause les solutions rendues sous l’empire de l’ancienne jurisprudence.

IV/ Une remise en cause des solutions antérieures ?

La Cour de cassation a, sous l’empire de sa jurisprudence antérieure, rendu des décisions plus aléatoires en matière de cumul d’infractions.

C’est ainsi que dans le cas où les salariés d'une entreprise, subissent des dommages qui ont pour origine le non-respect, par l'employeur ou son délégataire, des règles de santé et de sécurité, plusieurs qualifications peuvent se trouver en concours pour des mêmes faits : le non-respect des règles de santé et de sécurité et l’homicide ou les blessures involontaires. Sous l’empire de la jurisprudence antérieure, ces infractions concurrentes ont été jugées comme dissociables parce qu'elles n’étaient pas le résultat d'une seule intention coupable[5].

La chambre criminelle a également décidé en 2019, dans le cas du concours entre les délits de déversement de substances nuisibles dans les eaux souterraines, superficielles ou de la mer et le rejet en eau douce ou pisciculture, par une personne morale, de substance nuisible au poisson ou à sa valeur alimentaire, que celles-ci pouvaient se cumuler aux motifs que la seconde incrimination tend à la protection spécifique du poisson et que la première infraction exclut expressément la seconde de son champ d’application, de sorte que seul le cumul de ces deux chefs de poursuite permet d'appréhender l'action délictueuse dans toutes ses dimensions[6].

Ainsi, il apparait que les juges ne motiveront plus leurs décisions comme auparavant en mettant en avant, par exemple, l’unicité de l’intention coupable ou la protection de valeurs différentes pour retenir la possibilité de cumul. Les arrêts récents semblent uniquement avoir recours au raisonnement développé le 21décembre 2021.

Il semble donc plus avisé que les justiciables soulèvent dorénavant des moyens qui reprennent ce nouveau raisonnement de la Cour s’ils cherchent à voir exclure le cumul de qualifications, étant donné que la jurisprudence semble à présent unifiée.

 

Arnault Buisson-Fizellier, Avocat à la Cour

Nicolas Loïc Hernandez

  


[1] Crim., 15 déc. 2021, n° 21-81.864

[2] Crim. 9 sept. 2020, n° 19-84.301

[3] Crim. 15 févr. 2022, n° 20-81.450

[4] Crim., 9 juin2022, n° 21-80.237

[5] Crim. 9 avr.2019, n° 17-86.267

[6] Crim., 16 avril2019, n° 18-84.073