Mesure d’instruction in futurum et motif légitime – « Nul ne peut se prévaloir des résultats obtenus à l'issue des opérations de constat réalisées, telles qu'autorisées par l'ordonnance sur requête»
Dans une récente série de décisions, peu remarquées jusqu’à présent, la Cour d’appel de Versailles a apporté sa pierre à l’édifice, toujours plus complexe, de l’appréciation du motif légitime dans le cadre de mesures d’instruction in futurum ordonnées sur le fondement de l’article 145 du Code de procédure civile.
Les mesures d’instruction in futurum ordonnées sur requête, donc autorisées sans débat contradictoire et sur le seul fondement des allégations et éléments probatoires fournis au juge des requêtes par le requérant, sont la source d’un abondant contentieux devant le juge de la rétractation. Après exécution d’une mesure d’instruction, c’est devant ce dernier qu’est rétabli le contradictoire et que, décision après décision, le régime de ce dispositif se précise.
Parmi les conditions de l’obtention de mesures d’instruction sur requête figure l’obligation pour le requérant de rapporter la preuve d’un intérêt légitime. Un auteur relève à cet égard que « [s]i l’on appliquait de façon absolue le principe selon lequel l’instance en référé [rétractation] n’est qu’un réexamen contradictoire de la requête aux conditions initiales, il faudrait admettre que seuls les faits connus au moment de l’élaboration de la requête sont à prendre en compte »[1].
La Cour de cassation considère pourtant aujourd’hui de manière constante que le juge qui connaît d’une demande en rétractation « doit apprécier l'existence du motif légitime au jour du dépôt de la requête initiale, à la lumière des éléments de preuve produits à l'appui de la requête et de ceux produits ultérieurement devant lui »[2].
Cette position de principe s’explique aisément par la nécessité pour le requérant initial, comme pour le défendeur, de pouvoir produire des éléments, même postérieurs à l’ordonnance rendue sur requête au visa de l’article 145 du Code de procédure civile, permettant de soutenir ou au contraire de contredire l’existence d’un motif légitime à l’obtention de la mesure.
Une difficulté survient néanmoins dès lors que le résultat des mesures d’instruction elles-mêmes est utilisé par les plaideurs dans le cadre du débat contradictoire sur la demande de rétractation de l’ordonnance rendu sur requête. C’est le plus souvent le cas du requérant, qui utilise à l’appui de son argumentaire visant à obtenir la confirmation de l’ordonnance des éléments exposés dans le procès-verbal établi par l’huissier instrumentaire ayant diligenté la mesure d’instruction in futurum. Dans ce cas, le requérant peut-il légitimement se prévaloir des informations ainsi collectées au cours de la mesure et exposées dans le procès-verbal qui lui est remis pour justifier a posteriori dans le cadre du débat contradictoire devant le juge de la rétractation du motif légitime de la requête qu’il avait formulée ex parte ?
Il s’avère que la Cour de cassation n’a jamais statué sur cette question qui intéresse pourtant les praticiens. Le principe énoncé par la Cour de cassation vaut, certes, dans l’hypothèse de la production d’éléments indépendants des mesures d’instruction et permettant de nourrir l’argumentation des parties à l’occasion de leur débat contradictoire devant le juge de la rétractation. Mais qu’en est-il lorsque les éléments utilisés sont le fruit des mesures d’instruction in futurum ordonnées ex parte et dont le requis conteste devant le juge de la rétraction qu’elles soient justifiées par un motif légitime ?
La Cour d’appel de Versailles répond justement à cette question dans plusieurs décisions récentes. Elle s’est d’abord contentée d’affirmer,dans des cas d’espèce, que les appelants ou les intimés ne pouvaient se prévaloir des éléments obtenus lors des constats réalisés à l’occasion des mesures d’instruction in futurum[3].
Puis, par deux arrêts rendus en février et en mai 2022, la Cour d’appel de Versailles a fermement établi le principe selon lequel, dans le cadre du débat sur la rétractation[4] :
« Nul ne peut se prévaloir des résultats obtenus à l'issue des opérations de constat réalisées, telles qu'autorisées par l'ordonnance sur requête. »
Au travers de ces arrêts, la Cour d'appel de Versailles prend position et, sans la remettre en cause, nuance sensiblement la jurisprudence de la Cour de cassation. Reste à savoir quelle serait la position de cette dernière si elle était amenée à trancher un jour la question.
[1] S. PIERRE-MAURICE, Ordonnance sur requête, rep. proc. civ., Dalloz, mars 2011, actu juil. 2021, para. 157.
[2] Cass. 2e Civ., 7 juill. 2016, n° 15-21.579 ; Cass. 2eCiv., 2 oct. 2001, n°99-12.382 ; Cass. 2e Civ., 2 janv. 1994, n°92-14.605 ; Cass. 2e Civ., 20 nov. 1985, n° 84-13.129.
[3] CA Versailles, 12 novembre 2020, n°19/06774 : « La cour souligne enfin que les intimés ne peuvent se prévaloir des résultats obtenus à l'issue des opérations de constat réalisées telles qu'autorisées par l'ordonnance sur requête et notamment des déclarations faites dans ce cadre.Le caractère légitime de la demande de mesure d'investigation ne peut en effet se déduire du constat d'huissier établi en exécution de cette mesure, dont il est demandé l'annulation. »; CA Versailles, 4 février2021, n°19/06071 : « La cour souligne tout d'abord que la société Eiffage ne peut se prévaloir des résultats obtenus à l'issue des opérations de constat réalisées, telles qu'autorisées par l'ordonnance sur requête. »; CA Versailles, 1er juillet 2021, n°20/05304 :« La cour souligne tout d'abord que les appelants ne peuvent se prévaloir des résultats obtenus à l'issue des opérations de constat réalisées, telles qu'autorisées par l'ordonnance sur requête ou même de l'attitude,quelle qu'elle soit de l'intimée lors du déroulement des opérations ».
[4] CA Versailles, 17 février 2022, n°21/03972 ; CA Versailles, 12 mai 2022,n°21/02539.