L’action en garantie des vices cachées (articles 1641 et suivants du Code civil) n’est pas (ou plus !) l’unique action pouvant fonder une demande en indemnisation du préjudice subi du fait de la vente d’une chose viciée. L’objet de la presente lettre est d’informer sur le concours d’actions possibles en cas de sinistre a la suite de l’acquisition d’une chose defectueuse.

Si les juridictions françaises accueillent traditionnellement les demandes sur le fondement tiré de la garantie des vices cachés, le recours à deux autres fondements peut être admis par les juridictions dans le cadre d’une demande en indemnisation d’un sinistre résultant de la vente d’une chose viciée (ou défectueuse). Ces fondements sont :

la responsabilité des produits défectueux introduite dans le droit français par la loi n°98-389 du 19 mai 1998, prise en application de la directive communautaire n° 85-374 du 25 juillet 1985 (articles 1386-1 et suivants du Code civil),

l’obligation autonome de sécurité créée au visa de l’article 1147 du Code civil.

Ces deux fondements présentent l’avantage de ne pas être soumis au bref délai d’action de l’article 1648 du Code civil. Contrairement à l’analogie qui pourrait être faite par référence au principe de non cumul des actions en responsabilité contractuelle et délictuelle, ces trois actions ne sont pas exclusives les unes des autres et peuvent être invoquées pour un même fait dommageable.

En effet, elles découlent de régimes spécifiques de responsabilité ou de garantie pour lesquels un principe de non-cumul n’a pas été expressément établi par la loi ou la jurisprudence.

La similitude des notions de vice, produit défectueux ou risque

1. Aux termes de l’article 1641 du Code civil, le vice est un défaut de la chose qui « la rend impropre à l’usage auquel on la destine, ou diminue tellement cet usage que l’acheteur ne l’aurait pas acquise ou n’en aurait donné qu’un moindre prix, s’il les avait connus ».

Aux termes de l’article 1386-4 alinéa 1 du Code civil, le produit défectueux est celui qui « n’offre pas la sécurité à laquelle on peut légitiment s’attendre ».

Enfin, la jurisprudence a qualifié le risque relevant de l’obligation autonome de sécurité comme « tout vice ou tout défaut de fabrication de nature à créer un danger que ce soit pour les personne ou pour les biens » (Civ. 1ère 20 mars 1989, D. 1989, p. 381).

2. Ainsi, dès lors que la chose, objet de la vente, présentera un danger particulier pour les biens ou les personnes, résultant d’un défaut dont l’acquéreur n’avait pas connaissance, ce qui est généralement le cas lors d’un sinistre (atteinte aux personnes ou aux biens), les notions de « vice », « produit défectueux » ou « risque » pourront être retenues.

3. Ceci s’est révélé dans des cas concrets de dossiers traités par le cabinet pour :

– tout produit alimentaire qui, en raison d’un défaut de fabrication ou de la présence de substances nocives, présente des risques pour la santé,

– tout produit qui endommage les outils utilisés avec ce produit : un carburant contenant des impuretés qui provoque la panne des machines, un produit ménager qui endommage les surfaces à nettoyer, etc.

– tout outil qui, en raison d’un défaut dans sa fabrication, devient dangereux pour l’utilisateur ou son environnement (matériel hospitalier, appareils électroménagers ou HI-FI défectueux n’apportant pas les garanties de sécurité électrique nécessaires).

Les conditions de la garantie des vices cachés

1. Pour obtenir réparation d’un préjudice sur le fondement des articles 1641 et suivants du Code civil, il faut prouver :

– l’existence d’un vice,

– la gravité du vice (qui résulte nécessairement du dommage réalisé),

– le caractère caché du vice (le vice ne se révèle pas à l’occasion de vérifications immédiates et n’est pas non plus connu de l’acquéreur de la chose),

– l’antériorité du vice par rapport à la vente.

2. Enfin, l’action en justice doit être intentée dans le bref délai de l’article 1648 du code civil. Depuis le 18 février 2005, le bref délai d’action est fixé à deux ans.

Toutefois, selon la loi ancienne qui s’applique aux sinistres réalisés avant le 18 février 2005, le bref délai n’est pas enfermé dans une durée et est évalué en moyenne par les juridictions à moins de 12 mois.

Par conséquent, cette condition assez contraignante peut venir à manquer. C’est pourquoi, il peut être pertinent de fonder sa demande sur d’autres fondements plus favorables.

Les conditions plus favorables de la responsabilité des produits défectueux

1. L’action en responsabilité du fait des produits défectueux est fondée, dès lors que le demandeur prouve :

– le défaut,

– le dommage « à une personne ou à un bien autre que le produit défectueux lui-même » (article 1386-2 du Code civil),

– le lien de causalité entre le défaut et le dommage (article 1386-9 du Code civil).

2. Des causes d’exonération sont prévues à l’article 1386-11 du Code civil.

Certaines d’entre elles tendent à rapprocher le régime spécifique de la responsabilité des produits défectueux de celui de responsabilité de la garantie des vices cachés.

En effet, la responsabilité du producteur ne sera pas reconnue si le produit n’a pas été mis en circulation ou s’il n’était pas destiné à la vente (nécessité d’une vente) et si le défaut n’existait pas au moment de la mise en circulation (nécessité d’un vice antérieur à la vente).

3. L’intérêt de cette action est double :

– le délai de prescription est de 3 ans,

– l’action est ouverte à toute victime du produit et pas seulement à l’acquéreur de la chose défectueuse.

L’obligation autonome de sécurité

1. Cette action a été créée par la jurisprudence dans l’attente de la transposition de la Directive communautaire n° 85-374 du 25 juillet 1985 qui a indiqué que « le vendeur professionnel est tenu de livrer des produits exempts de tout vice ou de tout défaut de nature à créer un danger pour les personnes ou pour les biens » (Civ. 1ère 20 mars 1989, D. 1989, p. 381).

2. Ainsi, l’action est fondée, dès lors que l’on rapporte la preuve:

– d’une vente par un professionnel,

– d’un dommage portant atteinte à la sécurité des personnes ou des biens, – d’un défaut,

– du lien de causalité entre le défaut et le dommage.

3. On aurait pu penser que ce fondement allait disparaître avec l’entrée en vigueur des articles 1386-1 et suivants du Code civil. Pourtant les juridictions continuent d’appliquer, certes de façon plus rare, l’obligation autonome de sécurité (CA Rennes 28 mars 2003, RG n° 02/05407 ; CA Douai, 3ème ch., 7 mars 2002, RG n° 99/04879).

4. L’action fondée sur l’obligation autonome de sécurité est encore plus avantageuse que celle fondée sur la responsabilité des produits défectueux, dans la mesure où :

– le délai de prescription de l’action est celui de la responsabilité contractuelle traditionnelle, soit 30 ans (10 ans entre commercants),

– les causes d’exonérations spécifiques de l’article 1386-11 du Code civil ne lui sont pas applicables et seule la force majeure peut exclure la responsabilité du vendeur professionnel.

La différence fondamentales entre ces actions : le champ de la réparation

1. Il reste que l’action fondée sur la garantie des vices cachés présente encore un intérêt non négligeable : la réparation intégrale des préjudices subis.

2. Dans le cas d’un sinistre entraîné par une chose défectueuse ou viciée, l’action en responsabilité du fait des produits défectueux permet d’obtenir réparation des dommages causés par la chose défectueuse aux personnes et aux biens et non des dommages causés à la chose défectueuse elle-même.

En effet, aux termes de l’article 1386-2 alinéa 2 du Code civil (modifié par la loi n° 2004-1343, art. 29), les articles 1386-1 et suivants du Code civil s’appliquent « à la réparation du dommage supérieur à un montant déterminé par décret [500 euros] qui résulte d’une atteinte à un bien autre que le produit défectueux lui-même ».

3. L’action en garantie des vices cachés a l’avantage de réparer (i) le dommage causé aux personnes et aux biens (ii) ainsi que le dommage causé à la chose viciée ellemême (remboursement du prix de vente).

4. S’agissant de l’obligation autonome de sécurité, la jurisprudence ne précise pas l’étendue de la réparation, de sorte que peuvent être demandés des dommagesintérêts en réparation des dommages causés par la chose et à la chose elle-même.

Ces actions ne sont pas exclusives les unes des autres

1. Aucun principe de non-cumul n’a été établi par la loi ou la juris- 3 prudence, si bien qu’il est loisible de penser, à bon droit, que ces trois fondements peuvent être soutenus parallèlement, sans que l’examen de l’un d’entre eux ne soit prioritaire ou n’exclut l’application des autres.

Certains tribunaux résistent encore à appliquer les articles 1386-1 et suivants du Code civil ou l’obligation autonome de sécurité après avoir rejeté la demande sur la garantie des vices cachés, en l’absence de respect du bref délai.

Ils érigent de la sorte une hiérarchie entre les fondements qui n’est pas justifiée.

2. Pourtant l’application concurrente de ces actions se justifie pour les raisons suivantes :

– la responsabilité des produits défectueux est un régime favorable créé par une directive communautaire. Ecarter son application en se fondant sur un prétendu principe de non-cumul des actions reviendrait à faire prévaloir la loi nationale sur la loi communautaire.

– La garantie des vices cachés, la responsabilité des produits défectueux et l’obligation autonome de sécurité sont des actions spéciales, étrangères à la distinction traditionnelle entre responsabilité contractuelle et responsabilité délictuelle.

3. La jurisprudence évolue et le cabinet BFPL a obtenu des décisions envisageant le cumul des fondements.

4. Il a été notamment admis que l’action fondée sur l’obligation autonome de sécurité est indépendante de la garantie des vices cachés :

– A été jugé par la Cour de cassation dans un arrêt de la 1ère chambre civile du 11 juin 1991 :

« l’action en responsabilité contractuelle exercée contre le vendeur pour manquement à son obligation de sécurité, laquelle consiste à ne livrer que des produits exempts de tout vice ou de tout défaut de fabrication de nature à créer un danger pour les personnes ou pour les biens, n’est pas soumise au bref délai imparti par l’article 1648 du code civil ; que c’est donc sans contradiction que la cour d’appel a accueilli la demande en dommages-intérêts formée à l’encontre de la société Zeebrugge par les consorts Houziaux-Verkaemer, tout en écartant, pour ne pas avoir été intentée dans le bref délai dudit article 1648, leur demande reconventionnelle en résolution de la vente du « mobil-home » défectueux, exercée dans le cadre de la garantie des vices cachés ».

– L’indépendance de l’obligation de sécurité, qui peut être invoquée parallèlement à la garantie des vices cachés a été réaffirmée à de nombreuses reprises (Cass. civ. 1ère 27 janvier 1993, pourvoi n° 90- 19.777 ; CA Toulouse, 2ème ch., 22 janvier 1998, RG n°96/02658 ; Cass. civ. 1ère, 17 octobre 2000, pourvoi n°98-18.044 ; CA Douai, 3ème ch., 7 mars 2002, RG n° 99/04879).

– La Cour d’appel de Bordeaux a jugé récemment, dans un arrêt en date du 15 mars 2005 (RG n° 04/00699) : « Attendu qu’il est constant qu’informée le 25 avril 2002, la société Kermene était dès ce moment là en mesure d’engager une action prévue à l’article 1641 du code civil et aurait dû le faire dans un bref délai et non un an plus tard en application des dispositions de l’article 1648 du code civil. Attendu cependant que dès lors que les défectuosités de la marchandise auraient également pu résulter d’un manquement de la société Euro Wild à l’obligation de sécurité prévue par l’article L. 221-1 du code de la consommation, il peut être admis que le bref délai prévu par ce texte ne lui était 4 opposable ».

– Jugé encore par la Cour d’appel de Rennes, dans un arrêt du 28 mars 2003 (RG n° 02/05407) : « Considérant qu’il est constant que le défaut de qualité reproché au gasoil à savoir, outre un aspect trouble, la présence d’eau est inhérent à la chose elle-même et la rend impropre à son usage, que ce défaut ne relève pas de la non conformité mais de la garantie des vices cachés ; Que si la responsabilité du vendeur professionnel peut être recherchée sur ce fondement, elle peut l’être également sur le fondement contractuel de l’obligation de sécurité dès lors qu’il est tenu de livrer des produits exempts de tout vice ou de tout défaut de fabrication de nature à créer un danger que ce soir pour les personnes ou pour les biens. Que cette action n’est pas soumise au bref délai de l’article 1648 du code civil ».

5. Il en est de même pour la responsabilité des produits défectueux :

Le principe de cumul est expressément mentionné par l’article 1386-18 du Code civil : « Les dispositions du présent titre ne portent pas atteinte aux droits dont la victime d’un dommage peut se prévaloir au titre du droit de la responsabilité contractuelle ou extracontractuelle ou au titre d’un régime spécial de responsabilité »

– Il a été également précisé par la Cour de Justice des Communautés Européennes, dans un arrêt du 25 avril 2002, Commission contre République Française (affaire C- 52/00) : « … l’article 13 de la directive [art. 1386-18 du code civil] ne saurait être interprété comme laissant aux Etats-membres la possibilité de maintenir un régime général de responsabilité du fait des produits défectueux différent de celui prévu par la directive. (..) le régime mis en place par ladite directive (…) n’exclut pas l’application d’autres régimes de responsabilité contractuelle ou extracontractuelle reposant sur des fondements différents, tels que la garantie des vices cachés ou la faute ».

– Et cette application alternative des fondements est mise en oeuvre par certains tribunaux, (CA Grenoble, 2ème ch., 4 avril 2005, n° RG 03/03497 ;CA Orléans, 23 juin 2005, n° RG 04/01475).

Conclusion :

En cas de dommages aux personnes et/ou aux biens causés par une chose défectueuse, il est de l’intérêt du demandeur de cumuler les fondements afin d’accroître les chances d’obtenir réparation.

Indépendamment du fait que la référence à trois fondements emporte de plus fort l’adhésion des juges, le cumul des actions permet de réduire en particulier le risque de rejet de la demande d’indemnisation en cas de non respect du bref délai de l’article 1648 du Code civil, même si celui-ci a été porté à deux ans.

BFPL informera ses partenaires, quand la Cour de Cassation se prononcera expressément en faveur du concours des actions fondées sur la garantie des vices cachés, la responsabilité des produits défectueux et l’obligation autonome de sécurité…

Lettre réalisée par Aurélie Guillard, sous la direction d’Arnault Buisson-Fizellier, Avocats à la Cour