DE RECENTES DECISIONS, MEMES RENDUES PAR LA COUR DE CASSATION, FONT UNE APPLICATION ERRONEE DU PRINCIPE DE LA REPARATION INTEGRALE DU PREJUDICE.
IL APPARAIT UTILE DE RAPPELER CE PRINCIPE, SES EXCEPTIONS ET SES DIFFICULTES D’APPLICATIONS.

LES PRINCIPES GENERAUX GOUVERNANT LA REPARATION INTEGRALE DU PREJUDICE

La réparation du dommage (ou préjudice) doit être intégrale (ni perte ni profit), c’est à dire qu’elle doit replacer la victime dans l’état où elle se trouvait avant la survenance du sinistre, l’indemnité ayant pour mesure le préjudice subi.

Le principe de réparation intégrale impose une appréciation concrète du préjudice effectivement subi et sa mise en oeuvre relève donc du pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond.

En revanche, le pouvoir des juges du fond n’est pas discrétionnaire, de sorte que le juge ne peut aller au-delà de ce que la victime réclame.

La réparation ne doit pas être inférieur au dommage réparable

Deux conséquences :

· Le juge ne peut pas allouer une réparation symbolique ou forfaitaire.

· Le préjudice qui présente les caractères requis pour être juridiquement réparable (né, direct et certain) doit être intégralement réparé.

La réparation ne doit pas être supérieure au dommage réparable

· Le juge ne doit pas réparer deux fois le même chef de préjudice.

Par exemple, les prestations versées par un tiers payeur sont, lorsqu’elles présentent un caractère indemnitaire, soumises à un principe de non cumul : elles doivent être déduites de la réparation mise à la charge du responsable.

· Le juge ne doit pas réparer un préjudice hypothétique. Le préjudice hypothétique se distingue expressément de la perte d’une chance.

Les préjudices indemnisables :

Peuvent être indemnisés la perte éprouvée (amoindrissement pécuniaire qui s’inscrit dans le patrimoine), le gain manqué (non réalisation d’un bénéfice de nature à accroître la valeur du patrimoine), le préjudice matériel des victimes par ricochet en cas de décès de la victime principale, les préjudices moraux, la perte de chance …

LES EXCEPTIONS AU PRINCIPE DE LA REPARATION INTEGRALE

Elles peuvent résulter de :

· La loi :

Par exemple, la législation sur les accidents du travail et maladies professionnelles qui n’offre aux victimes qu’un régime de réparation forfaitaire, lequel ne peut assurer une réparation intégrale de la victime.

· Les conventions internationales :

Par exemple, en matière de transports internationaux ferroviaires ou routiers de marchandises.

· Les limitations conventionnelles :

En matière contractuelle, le débiteur n’est tenu que des dommages et intérêts prévus ou prévisibles.

LA DATE D’EVALUATION DU DOMMAGE

Principe

Le moment où la créance de réparation naît dans le patrimoine de la victime se situe à la date du dommage en matière extracontractuelle et à la date du contrat ou de la mise en demeure en matière contractuelle.

La créance de réparation naît au jour du dommage mais est évaluée en principe à la date du jugement, à moins que la dette de réparation ne se soit trouvée liquidée avant.

Quand le dommage ne consiste qu’en une perte d’argent, la jurisprudence a longtemps décidé que le montant nominal ne pouvait être augmenté. Désormais, la jurisprudence récente considère que le principe de réparation intégrale impose d’actualiser ce montant au jour du jugement.

S’agissant plus particulièrement de l’enrichissement sans cause, il est apprécié au jour où l’action est intentée, à moins que des circonstances exceptionnelles n’autorisent le juge à fixer l’indemnité à la date des faits d’où procède l’enrichissement. En revanche, l’appauvrissement est apprécié à la date où il est né.

Tempéraments

La date d’appréciation du dommage peut être avancée.

Par exemple, c’est le cas :

· en matière d’assurances de choses, l’indemnité est fixée en fonction de la « valeur de chose assurée au moment du sinistre » (L 121-1 du Code des assurances) ;

· en matière de transport international de marchandises routier ou ferroviaire, la réparation des pertes ou avaries est calculée d’après la valeur de la marchandise au jour de l’expédition (Convention de Genève du 19 mai 1956 et CMR article 23.1) ;

· lorsque la victime par son comportement retarde le règlement de la réparation, la réparation sera évaluée à la date du dommage (Cass. Civ. 20 décembre 1950 et Cass. Soc. 1er mars 1957).

La date d’appréciation du dommage peut également être retardée, notamment lorsque l’évaluation se fait à une date postérieure à la dernière décision des juges statuant sur le principe de réparation.

C’est le cas lorsque le dommage est évolutif.

Par exemple, en matière de réparation du préjudice corporel subi par un jeune enfant dont l’état n’est pas encore consolidé, souvent, le juge accordera une provision et surseoira à statuer jusqu’à la consolidation de l’enfant (en général, autour de 18/20 ans) pour se prononcer sur l’évaluation définitive du préjudice corporel.

LES DIFFICULTES D’APPLICATION DU PRINCIPE DE REPARATION INTEGRALE

Le cas de la chose vétuste

Lorsqu’un dommage est causé, par exemple, à un immeuble vétuste, doit-on appliquer un abattement afin de tenir compte de cette vétusté ?

Le cas de l’immeuble vétuste est délicat : en effet, quelque soit la position adoptée, le principe de réparation intégrale ne peut être véritablement respecté :

· Si on applique un abattement tenant compte de l’ancienneté de l’immeuble, alors la victime ne pourra pas reconstruire l’immeuble sans devoir débourser une partie des fonds : donc la victime s’appauvrit.

· Si on ne tient pas compte de l’état antérieur de l’immeuble, la victime s’enrichira dans la plupart des cas, puisqu’une plus value sera apportée à son bien compte tenu des travaux de réfection.

La chose vétuste qui est détruite à la suite du fait dommageable, doit être distinguée de celle qui est détériorée :

· Lorsque la chose vétuste est détruite, selon une jurisprudence constante (trentenaire), il n’y a pas lieu, en principe, à application d’un coefficient de vétusté.

Les juges prennent en compte les données comptables et y ajoutent le souci pratique de procurer à la victime les moyens d’une reconstruction effective de l’immeuble.

Les juges font prévaloir la « valeur de remplacement » de la chose sur sa « valeur vénale ».

· Lorsque la chose vétuste (détériorée) peut-être réparée, la valeur de remise en état dépasse parfois la valeur de remplacement.

La jurisprudence décide que la victime ne peut prétendre qu’à la valeur du remplacement de son bien endommagé si le coût de réparation excède cette valeur (Cass. 2ème civ. 9 juillet 1981 et 31 mars 1993), sauf cas d’une chose unique (par exemple, une voiture de collection).

Le cas du préjudice moral

Le préjudice moral peut être défini comme une souffrance endurée par la victime à la suite d’une atteinte à un intérêt extrapatrimonial.

Il est difficile d’apprécier l’ampleur exacte de la souffrance endurée, laquelle est incommunicable.

Ce qui explique d’ailleurs que les juges du fond refusent parfois de l’apprécier, comme par exemple dans le cas extrême d’une victime en état végétatif chronique.

Le principe de réparation intégrale interdit que le montant de l’indemnité soit proportionné à la gravité de la faute de l’auteur du dommage.

Cependant, l’analyse des jurisprudences démontre que les juridictions confèrent un rôle important à la gravité de la faute dans l’appréciation du préjudice moral lorsqu’il y a atteinte à un droit de la personnalité.

Cette prise en compte ne se justifie que dans les hypothèses où le comportement fautif à aggraver la douleur morale de la victime et donc son préjudice.

Par exemple, la faute de l’auteur du dommage est pris en compte en matière de journalisme, lorsque les faits présentés sont faux ou déformés (TGI Paris, 26 juin 1996, CA Paris 26 avril 2001), de sorte que cela aboutit à présenter l’intéressé sous un jour défavorable aux yeux du public.

En revanche, le caractère fautif du comportement du défendeur ne doit pas être pris en compte lorsqu’il n’a aucune incidence sur l’étendue du préjudice subi par la victime.

Le problème de la prédisposition de la victime en matière de réparation du dommage corporel

En principe, la prédisposition de la victime n’entache pas le principe de la réparation intégrale.

Ainsi, lorsque le fait dommageable a révélé ou provoqué l’affection subie par la victime, elle sera indemnisée intégralement car la prédisposition pathologique était restée en sommeil jusqu’au jour de l’accident.

En revanche, lorsque les pathologies de la victime étaient extériorisées antérieurement au fait dommageable, il sera tenu compte de cet état pour fixer le montant de l’indemnisation.

L’appréciation de la perte d’une chance

La perte de chance est la disparition de la probabilité d’un évènement favorable.

Elle ne constitue un préjudice indemnisable que si la chance perdue est suffisamment sérieuse.

Tel n’est pas le cas de l’évènement purement hypothétique (préjudice éventuel).

De jurisprudence constante, la Cour de cassation décide que « la perte de chance doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l’avantage qu’aurait procuré cette chance si elle s’était réalisée » (notamment Cass. 1ère civ. 9 avril 2002).

Par exemple, dans le cas de perte de chance de gagner un procès, l’indemnité n’égalera pas la totalité de la somme à laquelle le plaideur aurait pu prétendre si cette chance s’était précisément réalisée, ce qui demeure toujours du domaine de l’inconnu.

Le principe de la réparation intégrale s’applique à la perte de d’une chance.

La perte de chance constitue un préjudice distinct de celui de la réalisation de l’évènement qui lui ne sera pas réparé.

Lettre réalisée par Cathie Fond, sous la direction d’Arnault Buisson-Fizellier, Avocats à la Cour