EDITORIAL : La consignation ordonnée à un industriel au titre de l’art L 171-8 du Code de l’environnement peut être économiquement inacceptable : la capacité financière de sa maison mère doit-elle être prise en compte pour apprécier celle de sa fille visée par la consignation ? Un arrêt du Conseil d’Etat du

11.03.20 fournit un indice intéressant vers l’autonomie des capacités financières des sociétés entre elles.

La justification des capacités techniques et financières de l’exploitante d’une Installation Classée pour la Protection de l’Environnement (ICPE) est au cœur du dossier de demande d’autorisation/enregistrement.

Le Préfet vérifie systématiquement ces capacités avant de délivrer son précieux arrêté d’exploitation, conditions également appréciées par le Juge administratif lors d’un éventuel recours de plein contentieux.

Si les Juridictions administratives ont eu l’occasion de préciser quels sont les éléments de preuve permettant de justifier de la capacité financière d’une ICPE (1.), elles sont cependant restées circonspectes quant à l’incidence éventuelle de l’appartenance à un Groupe.

Le Conseil d’Etat vient cependant, dans un arrêt récent du 11 mars 2020, de poser le principe de l’autonomie des capacités financières d’une exploitante filiale par rapport à celles de sa société mère, ce qui pourrait avoir des conséquences sur le caractère « économiquement acceptable » du coût des mesures imposées à l’exploitante au titre de la réglementation ICPE (2.).

1. L’exploitante à pour obligation de justifier de ses capacités financières

1.1. Rappel de la réglementation applicable

Lors d’un dépôt de dossier de demande d'autorisation ou d’enregistrement d'une ICPE, l’exploitante est tenue de justifier qu’elle dispose de capacités techniques et financières suffisantes pour lui permettre d'assurer son exploitation en toute sécurité.

Cette obligation résulte notamment de l’article L.512-7-3 du Code de l’environnement (anciennement art. L. 512-1) qui dispose que :

« Le préfet ne peut prendre d'arrêté que si le demandeur a justifié que les conditions de l'exploitation projetée garantiraient le respect de l'ensemble des prescriptions générales, et éventuellement particulières, applicables. Il prend en compte les capacités techniques et financières que le pétitionnaire entend mettre en œuvre, à même de lui permettre de conduire son projet dans le respect des intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 et, le cas échéant, à l'article L. 211-1, et d'être en mesure de satisfaire aux obligations de l'article L. 512-7-6 lors de la cessation d'activité ».

Il est ainsi exigé des installations soumises à autorisation et à enregistrement, dont les risques de pollution ou d’accident sont importants, qu’elles constituent des garanties financières destinées à assurer la surveillance et le maintien en sécurité de l’installation durant tout son fonctionnement, outre la remise en état future du site lors de sa cessation d’activité.

L’arrêté préfectoral rendu, le Juge administratif contrôle strictement l’appréciation de l’existence de ces capacités en vérifiant, une seconde fois, si elles apparaissent suffisantes.

1.2. Quelques exemples jurisprudentiels

Pour ce faire et quant aux capacités financières, il est notamment tenu compte du chiffre d’affaire et du bilan comptable de l’exploitante (CAA Nantes 25.03.11 n°10NT00043), étant cependant précisé que ces informations ne doivent pas être transmises sous pli confidentiel au seul Préfet tout en se contentant d’indiquer dans le dossier de demande le capital social et le nom des partenaires industriels, sauf à violer l’obligation d’information du public prévue aux articles L.120-1, L.123-1-A et suivants du Code de l’environnement (CAA Douai 30.06.11 n°09DA00764).

L’existence d’une analyse financière réalisée par des tiers peut également être prise en considération (CAA Lyon 4.11.11

n°09LY00624), comme par exemple celle faite par un cabinet comptable extérieur qui a établi son rapport sur les cinq dernières années clôturées d'après une étude économique prévisionnelle du projet réalisée par un centre d'économie rurale concluant à la solidité de la situation financière de l’exploitante.

Mais le Juge administratif dispose d’un pouvoir souverain et peut décider, après que le Préfet ait considéré que certaines des informations transmises étaient suffisantes pour justifier de la capacité financière d’une société exploitante, que cette preuve n’est en réalité par rapportée.

C’est par exemple le cas concernant une société exploitante qui a communiqué, en phase d’instruction du dossier, une « attestation de saine gestion délivrée par la banque qui gère son compte » et une

« assurance responsabilité civile », outre la production en cours d’instance « des engagements de caution pour garantir la remise en état du site » (CCA Lyon 5.04.12 n°10LY02466).

Enfin, le Juge administratif fait une distinction entre les notions de capacités financières et de garanties financières.

Ces dernières, qui ont vocation à pallier les conséquences éventuelles d’une défaillance de l’exploitante, constituent un mécanisme de substitution pour financer la remise en état d’un site et ne sont pas suffisantes en elles- mêmes pour justifier de la capacité financière de l’exploitante (CAA Nantes 11.05.15 n°13NT02099).

Les Juridictions administratives ont donc eu l’occasion, à de multiples reprises, de venir préciser la notion de capacités financières.

Mais les capacités financières d’une exploitante filiale peuvent-elles résulter de celles de sa société mère ?

2. L’autonomie des capacités financières de la société filiale par rapport à celles de sa société mère

2.1. La réponse apportée par l’arrêt du Conseil d’Etat du 11.03.20

Aux termes d’un arrêt rendu le 11 mars 2020 (CE. 11.03.20 n°423164), le Conseil d'État a précisé dans quelle mesure les informations fournies par l’exploitante sont suffisantes pour permettre la bonne information du public.

En l'espèce, l’exploitante d’une usine de production de ciment avait simplement indiqué le montant de son capital social, et précisé qu'elle était une filiale à 100 % d'un groupe industriel important, tout en mentionnant le chiffre d'affaires et le résultat net de ce groupe sur les trois années précédentes.

Constatant l'insuffisance des informations fournies, le Conseil d'État a rejeté le pourvoi de la société qui contestait l'annulation de son arrêté préfectoral d'autorisation : « En indiquant que la société est une filiale du groupe industriel sans préciser s'il existe un engagement financier de la mère à l'égard de sa fille, le dossier de demande ne peut être regardé comme suffisamment précis et étayé sur les capacités dont la société est effectivement en mesure de disposer. Une telle insuffisance est de nature à nuire à l'information complète du public ».

La Haute Juridiction retient ainsi que la seule appartenance à un groupe ne peut, à elle seule, avoir d’incidence sur l’appréciation des capacités financières de la filiale exploitante.

Cette décision est le point d’orgue des quelques premiers arrêts rendus sur le sujet.

La Cour administrative d’appel de Nantes, puis celle de Lyon, avaient d’abord respectivement retenu en 2011 et 2012 que l’appartenance à un groupe, dont les capacités financières apparaissent suffisantes, peut permettre de justifier de celles de sa filiale.

Il ne s’agit cependant que d’un élément de preuve parmi d’autres, étant précisé que dans les cas de l’espèce, plusieurs indices venaient justifier de la capacité financière de la filiale en elle-même.

C’est ainsi que la Cour administrative d’appel de Nantes a retenu : « Considérant qu'il résulte de l'instruction que pour justifier de sa capacité financière, la SOCIETE CARRIERES DE BRANDEFERT, qui exploite depuis 1976 une carrière sur ce site et appartient au groupe Gagneraud, a fourni le tableau de son chiffre d'affaires et de ses résultats durant les exercices 2001, 2002 et 2003, ces derniers s'élevant, respectivement, à 855 185 euros, 799 810 euros et 800 437 euros, et faisant apparaître une marge brute moyenne de 20 %; qu'elle a justifié du provisionnement régulier des sommes destinées à la remise en état du site dont le montant, actualisé annuellement, s'établit à la somme de 350 910 euros au bilan arrêté au 31 décembre 2003, et a produit une attestation du 5 juillet 2004 de la Banque de Bretagne certifiant le bon fonctionnement de son compte bancaire ; que, dans ces conditions, contrairement à ce qu'a jugé le Tribunal administratif de Rennes, l'autorisation d'exploitation litigieuse, qui a pris en compte l'ensemble de ces éléments justifiant de la capacité financière du pétitionnaire, n'a pas été délivrée en méconnaissance des dispositions de l'article L. 512-1 du code de l'environnement » (CAA. Nantes 13.02.11 n°09NT02464).

La Cour administrative d’appel de Lyon a quant à elle retenu : « Considérant, en second lieu, que la société ECOPOLE SERVICES a produit un certificat de capacité financière de la Caisse d'épargne de Picardie attestant qu'elle disposait, avec les associés du groupe Villers Services et ses partenaires bancaires, des moyens financiers nécessaires pour aménager et exploiter les futures installations et satisfaire à ses obligations légales et réglementaires lors de la cessation de l'activité; qu'elle produit également un document établissant le cautionnement qui lui a été accordé pour un montant de 872 888 euros par Natexis Banques populaires ; que, dans ces conditions, ses capacités financières doivent être regardées comme suffisantes » (CAA. Lyon, 5.04.12 n°10LY02466).

En synthèse donc, l’appartenance à un groupe disposant d’importantes capacités financières peut être prise en compte dans la décision du Préfet et/ou du Juge administratif, mais à la seule condition que la filiale exploitante justifie en sus de disposer de ses propres capacités financières.

C’est l’avis du Conseil d’Etat qui a d’abord précisé, dans le considérant n°2 de son arrêt du 22 février 2016 (CE. 22.02.16 n°384821),

que les capacités financières de l’exploitante pouvaient être rapportées par un tiers : « […] que le pétitionnaire doit notamment justifier disposer de capacités techniques et financières propres ou fournies par des tiers de manière suffisamment certaine… ».

Il a ensuite validé la motivation de la Cour administrative d’appel de Nancy ayant retenu que l’exploitante, pourtant filiale à 100% d’un grand groupe énergéticien français, ne justifiait pas de capacités financières suffisantes.

Dans le cas de l’espèce, l’exploitante invoquait un plan de financement de 772 millions d’euros d’investissement financés à 30% par des fonds propres et 70% par un emprunt bancaire.

Concernant les fonds propres, le Conseil d’Etat a retenu, aux termes du considérant n°5 de l’arrêt précité, que « le pétitionnaire ne disposait pas lui-même du capital lui permettant de financer le projet en cause », cela en raison du fait que le capital social de l’exploitante était de 7,5 millions d’euros (versus les 231 millions d’euros d’investissement en fonds propres) et cela indépendamment du fait qu’elle ait produit une « lettre de support » de sa société mère s’engageant à lui « apporter son soutien ».

Concernant les fonds empruntés, l’arrêt du Conseil d’Etat du 22 février 2016 explicite sa décision dans son 6ème considérant : « en troisième lieu, qu'en relevant, s'agissant des capacités financières, que la société requérante s'était bornée, pour établir le caractère effectif des ressources d'emprunt qui devaient couvrir 70 % de l'investissement, à produire une note " sur les principes de financement de projet d'une centrale électrique au gaz " explicitant le recours à la technique du financement de projet, ainsi que des lettres de banques indiquant que le montage financier envisagé constituait une pratique courante dans ce domaine, mais ne comportant aucun engagement précis de financement, la cour a porté une appréciation souveraine sur les pièces du dossier, exempte de dénaturation ; qu'en en déduisant que la société ne justifiait pas de ses capacités financières, la cour n'a pas entaché son arrêt d'une erreur de qualification juridique ».

L’arrêt du Conseil d’Etat du 11 mars 2020 vient donc parfaire et appuyer sa décision antérieure du 22 février 2016.

2.2. Les éventuelles conséquences sur la notion du caractère « économiquement acceptable » des prescriptions ICPE

Cette position du Conseil d’Etat quant à l’autonomie des capacités financières de l’exploitante filiale par rapport à celles de sa société mère pourrait avoir des conséquences sur la notion du caractère « économiquement acceptable » des prescriptions de l’Administration pour qu’un exploitant d’ICPE accomplisse des travaux.

Il est en effet acquis, selon une Jurisprudence constante visant également l’ancien article L.512-1 du Code de l’environnement (devenu l’article L.512-7-3 du Code de l’environnement), que les prescriptions imposées à l’exploitante aux termes de son arrêté préfectoral d’exploitation doivent non seulement être « techniquement justifiées », c'est-à-dire manifestement exécutables, mais aussi et cumulativement, « économiquement acceptables », i.e représentant un coût non excessif au regard de la capacité financière de l’exploitante (CE. 16.12.04 n°270433 et CAA Lyon, 16.11.06, n°03LY01778).

Le Conseil d’Etat n’a pas encore eu l’occasion d’indiquer si cette « capacité financière » doit être analysée eu égard au seul chiffre d'affaires et niveau d'endettement de l’exploitante filiale, ou si celle de sa société mère peut également être prise en considération.

Si les Juges du fond ont tendance à invoquer le critère de l’appartenance à un grand groupe afin de justifier du caractère

« économiquement acceptable » des prescriptions techniques imposées à l’exploitante, l’arrêt du Conseil d’Etat du 11 mars 2020 pourrait être un argument en faveur d’une autonomie des capacités financières de la société mère par rapport à celles de sa filiale.

CONCLUSIONS :

Le Conseil d’Etat consacre l’indépendance de la notion des « capacités financières » de l’exploitante filiale par rapport à celles de sa société mère.

Cette décision a été rendue concernant les divers justificatifs que doit réunir l’exploitante lors d’un dépôt de demande d’autorisation/enregistrement d’exploiter une ICPE.

Bien que le Conseil d’Etat ne se soit pas encore prononcé concernant la notion de coût

« économiquement acceptable » relatif aux prescriptions techniques imposées à l’exploitante, il serait contradictoire que le Juge administratif prenne en compte les capacités financières de la maison mère pour estimer le caractère économiquement acceptable de la mesure imposée.

Compte tenu de l’importance financière que représente certaines consignations opérées par l’Administration, cet argument vaut d’être éprouvé.