CRPC (« le plaider coupable ») :

LA PUISSANCE CREATRICE DE LA COUR DE CASSATION AU SERVICE DE LA PRESOMPTION D’INNOCENCE

Cour de cassation, Chambre criminelle,

29novembre 2023, RG n°23-81.825

 

 

Par un arrêt du 29 novembre 2023, la chambre criminelle de la Cour de cassation complète les termes de l’article 495-14 du code de procédure pénale (CPP) pour assurer une protection pleine et entière de la présomption d’innocence et du droit de ne pas s’auto-incriminer lorsqu’une comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC/ le « plaider coupable à la française »)) a échoué.

 

 

Rappel préliminaire : la comparution préalable de culpabilité

  

La CRPC, est une procédure mise en œuvre par le procureur de la République de sa propre initiative ou à la demande du prévenu lorsque ce dernier a reconnu les faits reprochés[1].  

 

Dans le cadre de la CRPC, le procureur de la République propose au prévenu, obligatoirement assisté d’un avocat, une ou plusieurs des peines principales et complémentaires encourues :

 

-   Si le prévenu refuse les peines proposées il est renvoyé automatiquement en jugement devant le Tribunal correctionnel.

 

-   S’il accepte, il est alors présenté au Président du Tribunal judiciaire qui, par ordonnance rendue en audience publique, décide de l’homologation ou non de l’accord :

 

 

o  L’ordonnance d’homologation produit les effets d’un jugement et est exécutoire immédiatement[2].

 

o  L’ordonnance de refus d’homologation impose le renvoi du prévenu devant le Tribunal correctionnel pour jugement ou devant le juge d’instruction pour la poursuite de l’information judiciaire.

  

Dans le cas où la CPRC échoue (i.e. le prévenu a refusé les peines proposées ou la CRPC n’est pas homologuée), l’article 495-14 du CPP interdit(i) aux parties et au procureur de la République de faire état des déclarations faites ou des documents remis au cours de la CPRC et (ii) la communication au dossier de la procédure, des procès-verbaux pris au cours de la CRPC.

 

C’est à l’égard des documents communiqués au dossier de la procédure à l’issue d’une CPRC avortée que la Cour de cassation a statué le 29 novembre2023.

 

 

I/   La protection renforcée de la présomption d’innocence en cas d’échec de la CRPC

  

Dans le cadre d’une information judiciaire, plusieurs prévenus, alors sous le statut de mis en examen, adressent au juge d’instruction plusieurs courriers par lesquels ils reconnaissent les faits reprochés et sollicitent la mise en œuvre d’une CRPC.

 

Le juge d’instruction rend une ordonnance de renvoi des prévenus devant le procureur de la République pour conclusions de CRPC.

 

Les accords trouvés sont présentés au juge délégué par le président du Tribunal judiciaire pour homologation ce qu’il refuse par ordonnance.

 

Les investigations dans le cadre de l’information judiciaire suivent alors leurs cours. Un an après, le juge d’instruction notifie aux parties l’avis de fin d’information et rend l’ordonnance de renvoi devant le Tribunal correctionnel pour jugement.

 

L’un des prévenus saisit alors la chambre de l’instruction de la Cour d’appel d’une requête en nullité afin notamment de voir annuler le versement au dossier de la procédure :

 

-       Des courriers par lesquels les prévenus reconnaissent les faits et sollicitent la mise en œuvre des CRPC ;

 

-       De l’ordonnance de renvoi du juge d’instruction aux fins de mise en œuvre des CRPC.

 

La Chambre de l’instruction rejette les demandes en nullité en faisant une application stricte des termes de l’article 495-14 du CPP qui ne visent pas expressément ces actes parmi ceux ne devant pas être versés au dossier de la procédure.

 

La Cour de cassation casse et annule cet arrêt au visa des articles préliminaire, 180-1 et 495-14 du CPP ainsi que de l’article 6§2 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH).

 

La Chambre criminelle pose le principe suivant :

 

« Lorsque, à la suite d'une information judiciaire, la personne n'a pas accepté la ou les peines proposées ou lorsque le président du tribunal judiciaire ou le juge délégué par lui n'a pas homologué la proposition du procureur de la République, la demande ou l'accord de la personne mise en examen aux fins de renvoi de l'affaire au procureur de la République en vue d'une comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, ainsi que les pièces ou mentions de pièces s'y référant, doivent être retirées du dossier de l'information judiciaire […]

 

Le retrait des mentions de pièces se référant à la déclaration ou l'accord de la personne mise en examen s'effectue par voie de cancellation. »

 

Pour parvenir à cette solution, la Cour de cassation procède à une ,appréciation téléologique des termes de l’article 495-14 en recherchant l’intention du législateur dans les travaux parlementaires préparatoires à l’adoption de l’article.

 

La Cour explique ainsi que cet article, bien qu’il ne vise pas les courriers et ordonnance précités, a pour objet :

 

« d'éviter que la reconnaissance de sa culpabilité par la personne ayant fait l'objet de la[CRPC] et l'acceptation de la peine proposée par le procureur de la République ne nuisent à l'exercice des droits de la défense devant la juridiction saisie.

Or, cet objectif ne peut être atteint lorsque figurent au dossier de la procédure […]des pièces dont il se déduit que le prévenu a reconnu les faits qui lui sont reprochés et accepté la qualification pénale retenue. »

 

En conséquence, toutes pièces ou mentions « dont il se déduit que le prévenu a reconnu les faits qui lui sont reprochés et accepté la qualification pénale retenue. » doivent être retirées ou cancellées du dossier.

 

Le retrait de ces pièces et mentions s’impose par la protection nécessaire de la présomption d'innocence et du droit qui en résulte de ne pas contribuer à sa propre incrimination.

 

 

II/  L’intérêt consolidé du recours à la CRPC

 

Il revient au juge d’instruction, après échec de la CRPC, de saisir la chambre de l’instruction aux fins de procéder au retrait des pièces et à la cancellation des mentions présentes au dossier de procédure

 

Lorsque le retrait a été réalisé, les magistrats et avocats ne peuvent tirer des actes et des pièces ou parties d'actes ou de pièces aucun renseignement contre les parties, à peine de poursuites disciplinaires[3].

 

Cette décision préserve :

 

-       l’intérêt pour les prévenus de tenter de conclure une CPRC avec le procureur de la République puisqu’en cas d’échec, aucun élément duquel il pourrait se déduire qu’ils ont reconnu les faits et leurs qualifications pénales ne pourra être utilisé contre eux ;

 

-       par voie de conséquence, la possibilité de soutenir une relaxe devant les juridictions de jugement.

 

Pour rappel, la CRPC présente l’intérêt majeur de limiter les peines qui peuvent être proposées par le procureur de la République. En effet, la peine d'emprisonnement proposée ne peut pas excéder la moitié de la peine encourue et, en tout état de cause, ne saurait être supérieure à trois ans[4].

 

Cette limitation du quantum de la peine est préservée en cas d’appel de l’ordonnance d’homologation puisque la Cour d’appel, qui évoque l’affaire et statue au fond ne peut pas prononcer une peine plus sévère que celle homologuée[5].

Les propositions de peines du procureur de la République ne peuvent être formulées au prévenu qu’en présence de son avocat qui « doit pouvoir consulter sur le champ le dossier »[6]. En outre, avant de donner sa décision au procureur de République, le prévenu a le droit de s’entretenir avec son avocat.

 

BFPL Avocats met en œuvre pour le compte de ses clients industriels la procédure de CRPC chaque fois qu’il est de leur intérêt d’y recourir (rapidité/ efficacité / discrétion pour des affaires dans lesquelles l’infraction est constituée).


[1] La CRPC est applicable pour tous les délits, excepté ceux punis d’une peine d’emprisonnement de plus de cinq ans et ceux visés à l’article 495-16 du CPP, c’est-à-dire ceux commis par des mineurs, les délits de presse, l’homicide involontaire, les délits politiques et les délits spéciaux ainsi que les atteintes volontaires ou involontaires à l'intégrité physique comme les agressions sexuelles

[2] Appel possible dans les10 jours de la notification de l’ordonnance

[3] Article 174 alinéa 3CPP

[4] Article 495-8 du CPP

[5] Une exception existe lorsque sur l’appel principal du prévenu, le procureur de la République a formé un appel incident, étant précisé que celui-ci ne peut jamais former d’appel principal sur l’ordonnance puisqu’il ne dispose que d’un droit d’appel incident(article 495-11, al. 3 CPP)

[6] Article 495-8, al.5 du CPP