Par sa décision n°2017-688 QPC rendue le 2 février 2018, le Conseil Constitutionnel a remis en cause le fonctionnement de l’Agence Française de Lutte contre le Dopage (AFLD) en jugeant que l’absence de séparation en son sein des fonctions de poursuite et de jugement était contraire à la Constitution.

A l’origine de cette décision, un cavalier de la Fédération Française d’équitation a fait l’objet d’un contrôle anti-dopage qui s’est révélé être positif à l’hydrochlorotiazide (HCT). Cette substance qui appartient à la classe des diurétiques et autres agents masquants est interdite.

Le cavalier a été sanctionné d’une peine de 3 mois de suspension assortie du sursis par la Fédération Française d’Equitation. Mais le Collège de l’AFLD s’est autosaisi de l’affaire en application de l’article L.232-22 3° du Code du sport et la formation disciplinaire de l’AFLD a prononcé une peine de 2 ans de suspension et d’interdiction de participer à toute compétition.

Le sportif dont la sanction avait ainsi été sensiblement aggravée a alors décidé de former un recours contre cette décision auprès du Conseil d’Etat et de soulever à cette occasion la question prioritaire de constitutionnalité suivante :

L’article L.232-22 du Code du sport porte-t-il atteinte aux principes d’indépendance et d’impartialité découlant de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen en ce sens qu’il n’existe aucune séparation au sein de l’AFLD entre les fonctions de poursuite et de jugement ?

Le Conseil d’Etat l’estimant sérieuse et cette question n’ayant jamais été soulevée devant le Conseil constitutionnel, il a décidé, par une décision du 6 novembre 2017, de la transmettre aux neuf Sages.

Par le passé, le Conseil constitutionnel avait déjà été amené à se prononcer, également dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité, sur une problématique similaire.

Ainsi, le Conseil constitutionnel avait-il été saisi d’une question relative à la conformité à la Constitution de l’article L.631-5 du Code de commerce qui disposait dans sa version en vigueur au moment de la saisine « Lorsqu’il n’y a pas de procédure de conciliation en cours, le tribunal peut également se saisir d’office ou être saisi sur requête du ministère public aux fins d’ouverture de la procédure de redressement judiciaire ».

Par sa décision n°2012-286 QPC du 7 décembre 2012, le Conseil constitutionnel avait décidé que les termes « se saisir d’office ou » du premier alinéa de l’article en question étaient contraires à l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

De la même manière, le Conseil constitutionnel s’était déjà prononcé de manière claire sur l’obligation de séparation des fonctions de poursuite et de jugement au sein des autorités administratives indépendantes, telles que l’Autorité de la Concurrence, dont l’auto-saisine avait été validée dès lors que les règles concernées n’opéraient aucune confusion entre d’une part, les fonctions de poursuite et d’instruction et d’autre part, le pouvoir de sanction ( Cons. Const., 12 octobre 2012, n°2012-280 QPC), ou l’Autorité de contrôle des assurances et des mutuelles dont la procédure d’autosaisine a été invalidée parce qu’elle méconnaissait l’exigence d’impartialité dès lors que les mêmes personnes se prononçaient sur la décision de poursuivre d’une part, et sur la sanction d’autre part (Cons. Const., 2 décembre 2011, n°2011- 200 QPC).

Par sa décision du 2 février 2018, le Conseil constitutionnel vient donc confirmer et étendre à l’AFLD sa jurisprudence en la matière.

En effet, après avoir analysé les dispositions de l’article L.232-22 du Code du sport et en particulier son 3°, et constaté que c’était le Collège de l’AFLD, composé de ses neuf membres, qui décidait collégialement de se saisir d’office, alors que quatre membres de ce même Collège étaient ensuite amenés à délibérer en formation disciplinaire, le Conseil Constitutionnel a jugé que :

« 8. Les dispositions contestées confient ainsi à l’agence française de lutte contre le dopage le pouvoir de se saisir d’office des décisions de sanction rendues par les fédérations sportives qu’elle envisage de réformer. Ce pouvoir n’est pas attribué à une personne ou à un organe spécifique au sein de l’agence alors qu’il appartient ensuite à cette dernière de juger les manquements ayant fait l’objet de la décision de la fédération.

9. les dispositions contestées n’opèrent aucune séparation au sein de l’agence française de lutte contre le dopage entre, d’une part, les fonctions de poursuite des éventuels manquements ayant fait l’objet d’une décision d’une fédération sportive en application de l’article L232-21 et, d’autre part, les fonctions de jugement de ces mêmes manquements. Elles méconnaissent ainsi le principe d’impartialité. »

10. Par conséquent, le 3° de l’article L.232-22 du Code du sport doit être déclaré contraire à la Constitution. »

Aux termes de cette décision, sauf intervention d’une nouvelle loi réglant la question d’ici le 1 er septembre 2018, l’AFLD est tenue de se saisir de toutes les décisions rendues postérieurement à celle du Conseil constitutionnel et de toutes les décisions rendues antérieurement dont elle ne se serait pas encore saisie dans les délais légaux. En outre, la déclaration d’inconstitutionnalité peut être invoquée dans toutes les instances dont l’agence est saisie et non définitivement jugées à la date de la décision.

Le Conseil constitutionnel a donc laissé au législateur et à l’AFLD jusqu’au 1er septembre 2018 pour se mettre en conformité avec la Constitution.

L’AFLD a immédiatement réagi à la décision du Conseil Constitutionnel en indiquant qu’elle en prenait acte et que le projet de loi relatif à l’organisation des jeux Olympiques et Paralympiques 2024, actuellement en cours de discussion au Parlement, comporterait un article permettant de créer par ordonnance une commission indépendante au sein de l’AFLD, pour prononcer les sanctions disciplinaires à l’encontre des sportifs coupables de violation aux règles antidopage.