Par une Circulaire du 8 octobre 2023 n°2023/F/0061/FF3BIS (ci-après « la Circulaire »), la Chancellerie fournie des orientations claires pour renforcer la réponse pénale et les mesures de répression en matière environnementale, en mettant l'accent sur la coordination interinstitutionnelle, le renforcement des enquêtes judiciaires, et l'application de sanctions proportionnées et dissuasives.

 

Cette Circulaire démontre l’importance prise par le contentieux environnemental, ainsi que les nouveaux enjeux dont, notamment, le recours à la Convention Judiciaire d’Intérêt Public Environnementale (ci-après « CJIPE »).

 

D’ailleurs, la Chancellerie annonce d’ores et déjà que la CJIPE fera « prochainement l’objet d’un focus – DACG » (i.e. de la Direction des Affaires Criminelles et des Grâces), preuve de l’attention particulière portée sur le contentieux environnemental.

 

Nous synthétisons ci-après cette Circulaire et faisons un focus sur la CJIPE.

 

I/ Synthèse de la Circulaire : le renforcement des moyens administratifs et répressifs

 

La Circulaire s’organise autour de trois thèmes ci- après détaillés :

 

(i)          Renforcement de la coordination et de la coopération interinstitutionnelles

 

Afin d’assurer une coordination entre les institutions administratives et judiciaires, la Chancellerie vient préciser le rôle et les compétences de deux structures distinctes à vocation judiciaire :

-  le Comité Opérationnel de Lutte contre la Délinquance Environnementale(COLDEN) présidé par le ou les procureurs de la République territorialement compétents ;

-  le Pôle Régional Environnemental (PRE), institutionnalisé par le décret n° 2021-286 du 16 mars 2021 au sein de certaines Cour d’appel, compétents pour connaître des infractions les plus complexes en matière environnementale, notamment au stade de l’enquête.

L’objectif de cette Circulaire est de tenter de rationaliser l'organisation de ces structures notamment par la mise en place de réunions régulières pour dresser le bilan des politiques pénales et coordonner les actions administratives.

 

Afin d’accroître l’efficacité du PRE, la Circulaire prévoit également que les Services enquêteurs (gendarmerie/police) informés d’une possible atteinte à l’environnement, devront désormais saisir le Parquet territorialement compétent mais également le PRE rattaché à la Cour d’appel : le but est ainsi que ce dernier puisse apprécier son éventuelle compétence.

 

(ii)        Renforcement de l'efficacité des enquêtes judiciaires

 

Outre la saisine quasi systématique des PRE, qui permettra la saisine de magistrats spécialisés dans les infractions environnementales, la Circulaire prévoit le recours aux moyens suivants :

 

-    co-saisine des enquêteurs : par exemple de la gendarmerie et des enquêteurs l’Office Français de la Biodiversité (OFB) pour mobiliser différentes expertises ;

-    utilisation des techniques spéciales d'enquête pour lutter contre la criminalité environnementale organisée ;

-    développement de cellules d'enquête opérationnelles communes pour accroître l'efficacité des investigations.

 

(iii)        Mise en œuvre d'une réponse pénale ferme et adaptée

 

Après le renforcement des moyens alloués pour poursuivre les personnes physiques ou morales suspectées d’avoir commis des atteintes environnementales, la Circulaire renforce également la réponse pénale :

-    développement de la convention judiciaire d'intérêt public environnementale (CJIPE) ;

-    fixation d'une amende proportionnée et dissuasive en fonction des avantages tirés des manquements constatés.

-    insistance sur la remise en état de l'environnement comme une priorité;

-    utilisation d'une réponse pénale pédagogique pour les infractions de basse intensité ;

-    prise en compte des enjeux financiers liés aux infractions environnementales.

II/ Focus sur la CJIPE : vers un accroissement du recours à cette alternative aux poursuites

 

La CJIPE est une convention passée entre le procureur de République et une personne morale soupçonnée d’avoir commis une ou plusieurs infractions au Code del’environnement1.

Il s’agit d’une alternative aux poursuites, c’est-à- dire qu’elle est proposée par le procureur de la République et acceptée par la personne morale avant que les poursuites judiciaires ne soient engagées pour les infractions considérées.

La CJIP revient en quelque sorte à une transaction sur les poursuites judiciaires puisque le procureur de la République propose à la personne morale de ne pas engager de poursuites en échange de l’exécution des obligations fixées dans la convention, de sorte que si la personne morale accepte la transaction, sa responsabilité pénale ne sera pas établie.

Ces obligations peuvent consister à :

 

-   verser une amende d'intérêt public au Trésor public dont le montant est proportionnel aux avantages tirés des manquements, dans la limite de30 % du chiffre d'affaires moyen annuel, calculé sur les trois derniers chiffres d'affaires annuels ;

-   se soumettre à un programme de mise en conformité qui ne peut excéder trois ans ;

-   réparer les dommages causés par l'infraction ;

L’objectif de la CJIPE est simple : ne pas attendre un procès qui interviendra plusieurs années après les faits pour que l’entreprise se mette en conformité, et répare le préjudice écologique découlant des faits reprochés.

Depuis son instauration en décembre 2020, déjà 15CJIPE ont été conclues et validées.

En comparaison, 18 CJIP « financières »2 ont été conclues depuis l’instauration de la loi « Sapin II » du 9 décembre 2016.

Toutefois, le montant maximum de l’amende d’intérêt public qui a été prononcée est de 140.000 euros quant la CJIP Financière conclue avec la banque JP Morgan atteint les 25millions d’euros.

C’est au regard de ces chiffres, que M. François Molins, déclarait lors du colloque organisé le 20 novembre 2023 par la Cour de cassation3, que deux axes de travail devaient être développés dans les prochaines années :

-   donner un meilleur cadre de négociation aux parquetiers en leur donnant une grille d’évaluation tenant compte de tous les impératifs de prévention, de dissuasion et de réparation du trouble à l’ordre public ;

-   mieux accompagner les parquetiers dans l’évaluation du préjudice écologique.

En synthèse, dans le traitement des infractions environnementales, la CJIPE est vouée à se multiplier et à se rationaliser.

Cette évolution est annonciatrice d’un renforcement des sanctions qui seront proposées aux personnes morales.

 

 

 

1 La CJIPE a été introduite à l’article 41-1-3 du code de procédure pénale par la loi n°2020-1672 du 24décembre 2020

2 Utilisée pour des faits de corruption, trafic d’influence, fraude fiscale, blanchiment de fraude fiscale et toute infraction connexe.

3 Colloque organisé par la Cour de Cassation « Convention judiciaire d’intérêt public et l’utilisation du contrat comme alternative aux poursuites : quelle pertinence et quelle efficacité ? »